12 Mai 2021

Mars : enquête sur un paléoclimat tumultueux

Dans un article publié en avril 2021, William Rapin, chercheur à l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) présente avec son équipe les premiers indices montrant que le climat martien a fluctué dans le passé. Ces résultats ont été obtenus grâce à la résolution exceptionnelle de la caméra RMI installée sur le rover Curiosity.

Ce sont les traces d'une instabilité climatique que les chercheurs viennent de mettre en évidence sur les affleurements du Mont Sharp, situé au niveau de l'équateur de Mars. D'un climat humide il y a environ 3 milliards d'années, la planète rouge aurait évolué vers un climat plus sec avant de basculer à nouveau dans un environnement humide. Ces fluctuations sont visibles sur plusieurs centaines de mètres dans l'épaisseur des couches géologiques du mont Sharp ce qui indique que le phénomène s'est vraisemblablement déroulé sur plusieurs millions d'années. Les empilements sédimentaires, photographiés pour la première fois depuis le sol martien, portent les stigmates des changements du climat ancien et révèlent qu'il n'y  a pas eu un mais au moins deux changements de grande ampleur.

L'organisation des dépôts sédimentaires, leur faciès et leur structure, informent sur l'histoire paléoclimatique de Mars. Image prise au cœur du Mont Sharp avec les caméras couleur Mastcam de l'instrument ChemCam embarqué sur le rover Curiosity.
© NASA/JPL-Caltech/MSSS/CNES/CNRS/LANL/IRAP/IAS/LPGN

Mars en haute-résolution

Parue dans la revue Geology, l'étude de William Rapin vient d’abord confirmer que l'environnement de Mars s'est asséché, hypothèse formulée grâce aux mesures orbitales. Depuis l’orbite, l'analyse de la lumière réfléchie par la surface indique, en divers points de la planète rouge, la présence d’un changement minéral (des argiles vers les sulfates), lui-même signe d'un changement d’environnement. C'est précisément parce que le mont Sharp contient la fameuse transition minérale dans ses sédiments que le rover Curiosity s'y est posé en 2012. Parmi les dix instruments embarqués, ChemCam de contribution française et réalisé avec le concours du CNES, possède entre autres une caméra de haute résolution pour observer les roches (RMI, Remote Micro-Imager)

Grâce à leur résolution (moins de 10 cm à quelques kilomètres de distance), les images de la caméra RMI ont permis de mettre en évidence des alternances dans la structure des roches sédimentaires. Cette structure informe sur l'environnement de dépôt. Ainsi, le rover a observé des successions de couches fines planaires à la base du mont Sharp, interprétées comme la marque d'un milieu lacustre (image A ci-dessous). À 350m au-dessus de cette base, la RMI a révélé des structures entrecroisées typiques de dépôts éoliens, autrement dit, d'un milieu sec (images E à G). "Cette première observation était essentielle pour notre mission", rapporte le chercheur qui venait de confirmer grâce à des enregistrements in situ, une hypothèse basée sur des compositions minérales mesurées depuis l'orbite. Mais l'histoire ne s'arrête pas là ...

Légende :

  • A : Les couches sédimentaires forment des dépôts linéaires et plans, surlignés par des pointillés bleus. Cela traduit un milieu de dépôt fluvial (zone 4 issue de la figure a).
  • a - A l'intérieur du Mont Sharp, prise de vue depuis le rover avec les caméras couleur Mastcam. Les géologues encadrent des zones intéressantes.
  • B - D : Les zones 2B, 2C et 2D sont prises en photo avec la caméra RMI à 10cm de résolution.
  • E - G : Ces 3 zones sont analysées : L'entrecroisement des empilements sédimentaires est surligné en rouge. Il marque un régime de dépôt éolien.

Deux fluctuations climatiques ad minima

Le Mont Sharp vu par l'instrument orbital HiRISE avec le parcours de Curiosity (en rouge) et l'emplacement du rover lors des prises de vue faites par la caméra RMI (points jaune).

"En parallèle, nous avons eu une surprise en pointant notre caméra encore plus haut, 200 m au-dessus des structures entrecroisées, poursuit William Rapin. Là, sur des buttes en retrait, à presque 5 km de distance, nous avons repéré des structures sédimentaires d'une autre nature. Planaires et faites de petites alternances résistantes et friables, ces traces sont le reflet d'un dépôt en milieu fluvial, en particulier celui d’une plaine d’inondation". Ainsi, après la période sèche, il a y a donc eu un retour vers un environnement plus humide. Les chercheurs ont non seulement confirmé une évolution climatique, ils ont également mis en évidence une deuxième transition climatique durant la même ère géologique."

Jusqu'à présent, tout laissait penser que la planète avait évolué d'un climat humide vers un climat sec en une seule transition. Ce modèle reposait sur la transition minérale bien sûr mais aussi sur les structures d'érosion à grande échelle visibles depuis l’orbite comme les vallées fluviales par exemple. En réalité, le volcanisme ou d'autres phénomènes ont certainement gommé en surface les traces fines alors que les couches sédimentaires comme celles du Mt Sharp ont conservé l'histoire du passé. "Les alternances observées dans les structures sédimentaires ont permis de renverser le modèle dominant selon lequel l’assèchement de Mars s’est produit de façon monotone".

Les causes de ces fluctuations sont encore mystérieuses mais leur ampleur, puisqu'elles se sont développées sur au moins un million d'années et certainement plus, les relie probablement à des causes globales : volcanisme épisodique ? Variation des paramètres orbitaux de Mars (obliquité, précession, excentricité) ? Perturbation des grands cycles géochimiques, qui, si l'on se réfère à la Terre, peut être dû aux évolutions du vivant ... Les chercheurs comptent sur le rover qui vient d'entamer une ascension sur 500 mètres de sédiments pour continuer de nous éclairer.

Contacts

  • William Rapin
    Chercheur à l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie CNRS (UMR 5277) - Université Paul Sabatier.
    9 Avenue du Colonel Roche, 31400 Toulouse
    Mail : william.rapin at irap.omp.eu
    Tel : +33 7 69 58 42 56

  • Francis Rocard
    Responsable de la thématique « planètes et petits corps du système solaire » du CNES
    Centre National d'Etudes Spatiales 2 place Maurice Quentin 75039 Paris Cedex 01, France
    Mail : francis.rocard at cnes.fr
    Tel : 01 44 76 75 98