3 Mars 2016

Adolescente, Mars avait un visage différent !

Voici 3 à 3,5 milliards d'années, la surface de Mars aurait basculé d'au moins 20 degrés en raison d'une intense activité volcanique dans la région de Tharsis. C'est la conclusion de travaux menés par une équipe essentiellement française. Décryptage de leurs résultats publiés dans la revue Nature le 2 mars 2016 par Violaine Sautter, experte de l'histoire géologique de Mars, co-investigatrice du laser ChemCam embarqué sur le robot Curiosity et qui vient de recevoir la Médaille d'argent du CNRS.
Que pensez-vous de ces travaux ?

C'est un très bel article qui fait bouger les lignes et va nous obliger à penser à une nouvelle géographie pour Mars dans son histoire la plus ancienne. Il propose que l’activité volcanique, débutée il y a plus de 3,7 milliards d'années au niveau du dôme de Tharsis, a été si puissante qu’elle aurait chamboulé la planète de fond en comble. Rappelons que ce dôme prodigieux est percé par 4 gigantesques volcans, aujourd'hui éteints, comme Olympus Mons, le plus grand volcan de notre système solaire haut comme 3 fois l’Everest.

Cette intense activité volcanique a été générée par un énorme panache dans le manteau profond de la planète, non pas à l’aplomb de l’équateur, mais dans l’hémisphère nord, entre +20 et +60°. Les quantités de laves éjectées auraient été si phénoménales qu'elles en auraient déstabilisé, par leur simple masse, le manteau et la croûte de Mars qui auraient tourné autour de son noyau. Il faut donc mentalement imaginer que Tharsis était, il y a plus de 3,7 milliards d’années, en plein dans l’hémisphère nord.

Au-delà de ces bouleversements géographiques, ce qui est intéressant dans ce travail, c'est le timing des événements, leur durée et leurs relations avec l’écoulement d’eau à la surface de Mars sous forme de rivières ramifiées. L'article montre que l’activité fluviale se serait prolongée au cours de l’édification du dôme de Tharsis alors que Mars perdait une grande partie de son atmosphère, il y a entre 3,5 et 3 milliards d'années. Cette perte d'atmosphère pourrait résulter, en partie, de l'intense activité volcanique dans cette région.

Violaine Sautter est chercheuse CNRS à l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie de Paris. Crédits : Catherine Donné - Radio France.

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Crédits : Sylvain Bouley.

C'est-à-dire ? 

Il s’agit d’un raisonnement à tiroir. Le gigantisme du panache de Tharsis, provenant de l'interface manteau-noyau, pourrait être corrélé en profondeur à un refroidissement tel du noyau qu’il se serait progressivement totalement solidifié. Et alors là, c'est l'arrêt de la convection et de la dynamo du champ magnétique. Sans champ magnétique, l'atmosphère martienne n'a plus été retenue et s'est échappée dans l'espace. On peut aussi se demander si l'alignement des 3 volcans de Tharsis Montes ne reflète pas un basculement progressif, en 2-3 temps, de la croûte et du manteau de Mars. Ce sont des questions que l'on peut se poser en conclusion à ses travaux. 

Le visage de Mars il y a 4 milliards d’années, d’après cette nouvelle étude. Crédits : Didier Florentz.

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Planisphère de Mars réalisé grâce aux données topographiques collectées par la sonde Mars Global Surveyor en orbite autour de la planète rouge de 1997 à 2006. En rouge, les zones les plus hautes. Crédits : image : MOLA Science Team; légendes : CNES.

Il faut mentalement imaginer que Tharsis était, il y a plus de 3,7 milliards d’années, en plein dans l’hémisphère Nord

Le robot Curiosity se trouve loin de Tharsis. Comment va-t-il ? 

Curiosity se porte comme un charme. En 4 ans, il a parcouru plus de 12 km au fond du cratère de Gale. Avec l'instrument ChemCam, on tire tous les jours sur les roches et les sols de la planète rouge. Le laser nous inonde de données. Nous sommes à plus de 300 000 analyses. On est crevé ! C'est la rançon du succès. Une semaine sur 2, notre équipe est en opération, en alternance avec l'équipe américaine. Et on va continuer jusqu’à ce que l'instrument ou le robot casse – au maximum encore 4 ans, c'est la durée de vie restante à sa pile au plutonium. Mais on ne va pas se plaindre, bien au contraire !

ChemCam a découvert au fond du cratère, des roches échantillonnées sur une épaisseur de croûte de 2 à 3 km par la rivière Peace Vallis entaillant le flanc nord du cratère. Ces roches blanches de type granitique très anciennes, d'environ 4 milliards d'années, étaient jusqu’à présent cachées sous la surface basaltique, donc invisibles par les spectromètres en orbite autour de la planète. On a aussi trouvé des sédiments riches en alcalin et en silice. Ces découvertes montrent qu'une croûte continentale primitive a pu se différencier sur Mars comme sur la Terre ! Mars n'est pas constituée que de basalte !

Tout au long du trajet à l’approche du Mont Sharp, on a trouvé des argiles, des sulfates de calcium témoignant de l’existence passée d’eau potable à la surface de Mars démontrant que la planète a pu être habitable par le passé. On vient d'arriver au pied du mont Sharp une montagne d’argile et de sulfate de 5000 m d’altitude. Dès l'été prochain, Curiosity pénétrera une vallée entaillant cette montagne magique que l’on pourra alors ausculter de l’intérieur. Et là... ''Expect the unexpected'' !

Depuis le 6 août 2012, le rover Curiosity patrouille sur Mars. Vue d'artiste. Crédits : NASA/JPL-Caltech.

APRÈS CHEMCAM : SUPERCAM

En février 2011, un nouveau robot américain baptisé provisoirement ''Mars 2020 Rover'' se posera sur Mars. Il sera équipé de 7 instruments scientifiques dont SuperCam, une version améliorée de ChemCam. Outre l'analyse à distance des roches martiennes, SuperCam sera capable de détecter des molécules organiques, traces d'éventuelles formes de vie passée. Il est le fruit d'une coopération entre le CNES et la NASA. Crédits image : NASA/JPL-Caltech.

Aller plus loin

Contacts

  • Violaine Sautter, chercheuse à l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie à Paris : vsautter@mnhn.fr
  • Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire au CNES : francis.rocard@cnes.fr