11 Juin 2018

Les molécules organiques sur Mars piquent notre Curiosity !

Deux résultats importants viennent d’être publiés conjointement dans la revue scientifique Science ce jeudi 7 juin 2018. Les deux articles correspondants décrivent des résultats obtenus avec l’expérience Sample Analysis at Mars (SAM), à bord du rover martien Curiosity.

Un cycle du méthane sur Mars

Le premier article porte sur le cycle du méthane présent dans l’atmosphère. Cette molécule a été détectée avec le spectromètre laser (Tunable Laser Spectrometer - TLS) de SAM depuis le début des opérations de Curiosity sur Mars en 2012. Sa présence suscite des interrogations car il est normalement détruit en quelques centaines d’années dans l’atmosphère de Mars.

Cela signifie qu’il existe une source contemporaine de méthane à la surface de Mars. Sur Terre, la majorité du méthane atmosphérique est d’origine biologique mais sur Mars, les quantités mesurées sont suffisamment faibles pour que la géochimie seule (en l’absence de vie) permette d’expliquer les observations. Grâce à des mesures effectuées régulièrement avec TLS durant les 3 années martiennes (∼6 ans sur Terre) de la mission, une variation saisonnière et répétable de la concentration de méthane a été mise en évidence.

Ces variations seraient compatibles avec la présence de clathrates d’eau dans le proche sous-sol de Mars, capables de piéger le méthane et de le relâcher lorsqu’ils sont chauffés par des températures de surfaces supérieures en été. Cette hypothèse est renforcée par l’observation de la même variation de la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère que le méthane. Si cette hypothèse est vérifiée, l’origine du méthane pourrait être plus complexe à retrouver encore car il pourrait avoir une origine ancienne et avoir été stocké pendant des milliards d’années dans le sol de Mars, avant d’être relargué au fil des saisons martiennes.

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Evolution saisonnière du méthane mesuré dans l’atmosphère de Mars par l’instrument TLS de l’expérience SAM à bord du rover Curiosity (Webster et al., Science, 2018)

Des molécules organiques soufrées sur Mars

Le second article rapporte la détection de molécules organiques soufrées dans un échantillon martien provenant de la couche de base du mont Sharp, le piton central du cratère Gale que Curiosity est en train de gravir. L’échantillon « Mojave » a été prélevé dans une mudstone nommée Murray. Cette formation, et donc les roches qui y sont présentes, proviennent d’un environnement lacustre présent lors de la formation du cratère Gale il y a de cela 3,5 à 3,8 milliards d’années. Mojave est constitué d’argiles, mais également de sulfates telles que la jarosite.

Cette zone est le résultat d’un passé géochimique complexe de la planète, alliant à la fois des minéraux se formant sous des conditions acides et oxydantes, autant que des minéraux se formant dans des conditions alcalines et réductrices. Lors de l’analyse dans l’instrument SAM, quelques dizaines de milligrammes de l’échantillon Mojave ont été pyrolysés (chauffés) jusqu’à > 850 °C dans les fours de l’instrument. Les molécules qui s’en dégagent sont analysées par un chromatographe en phase gazeuse (GC) développé par les laboratoires français LATMOS, LISA et LGPM, avec le soutien du CNES, couplé à un spectromètre de masse (MS) développé par le centre NASA Goddard Space Flight Center aux Etats-Unis.

La chromatographie permet de séparer les composants individuels d’un mélange de molécules initiales, et la MS de les identifier par pesée moléculaire. Lors de l’analyse de l’échantillon Mojave, la détection simultanée de produits de décomposition des sulfates et de matière organique soufrée comme le thiophène et le dimethylsulfide, laisse envisager que les molécules relâchées étaient piégées et protégées à l’intérieur de ces minéraux.

Une seconde hypothèse sur l’origine des molécules organiques soufrées serait qu’elles proviennent de matière organique réfractaire et extrêmement complexe qui commencerait à se dégrader à haute température. Quelle que soit son origine, cette matière organique signifie qu’il y a un peu plus de 3,5 milliards d’années, le cratère Gale réunissait simultanément toutes les conditions qui permettait à la vie de se développer : de l’eau liquide pérenne, de l’énergie, et de la matière organique. À l’époque où la vie apparaissait sur Terre, le cratère Gale sur Mars était donc habitable.

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Chromatogrammes des échantillons Cumberland et Mojave ayant mis en évidence les molécules organiques soufrées (à droite) issues de l’analyse par GCMS de ces échantillons (Eigenbrode et al., Science, 2018)

Autant pour la découverte des molécules organiques soufrées dans des roches martiennes que pour l’observation d’une variation saisonnière de la concentration de méthane dans l’atmosphère, l’hypothèse chimique ou géochimique est privilégiée. Cependant, ces résultats n’excluent pas une potentielle origine biologique qui expliquerait tout aussi bien ces deux phénomènes. Mais un message clair nous est donné par ces résultats : non seulement l’environnement du cratère Gale était propice à l’émergence d’une forme de vie, mais la variété des molécules détectées dans différents types de roches montre également une préservation à long terme (sur des échelles de temps géologiques de plusieurs milliards d’années) des molécules du passé. Ces découvertes entreront en compte lors de la sélection des sites d’atterrissage et d’exploration des prochaines mission spatiales à destination de la surface de Mars, comme la mission de l’agence spatiale européenne ExoMars 2020.

Ces travaux ont été financés en grande partie par le CNES. 
La mission Mars Science Laboratory a été développée par la NASA dans le cadre de son programme d’exploration de la surface de Mars. De nombreux laboratoires de recherche français et le CNES sont impliqués dans cette mission, essentiellement au travers de la contribution aux instruments SAM et ChemCam.

Références

Contacts

  • Francis Rocard responsable du programme Système solaire au CNES : francis.rocard at cnes.fr
  • Caroline Freissinet (LATMOS, CNRS, UVSQ, SU) : caroline.freissinet at latmos.ipsl.fr / 01 80 28 52 69

  • Cyril Szopa (LATMOS, UVSQ, CNRS, SU) : cyril.szopa at latmos.ipsl.fr / 06 87 51 84 90
  • Arnaud Buch (LGPM, CentraleSupelec). arnaud.buch at centralesupelec.fr / 01 75 31 61 91